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Les pèlerins d'Emmaüs revivent la Cène

Caravage Emmaus NG.jpg

LE SOUPER A EMMAÜS     
Caravage (1571-1610)
1601
National Gallery, Londres

 

 

 

 

 

 

Emmaüs est cité dans un épisode du dernier chapitre de l'Évangile selon Luc de la bible chrétienne. Le Christ, qui vient de ressusciter le matin de Pâques après sa crucifixion et sa mise au tombeau, apparaît sur la route d'Emmaüs à deux disciples désespérés de sa mort qui fuient Jérusalem. Ils lui offrent l'hospitalité sans le reconnaître : « Pendant qu'il était à table avec eux, il prit le pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent. »

Cette première version de Caravage, baignée de lumière  (il en a peint une seconde cinq ans plus tard, plongée dans la pénombre, cf. ci-dessous), illustre le renouvellement de la foi, ranimée par l'expérience de cette rencontre du Christ ressuscité. Elle se caractérise par un réalisme tellement saisissant que le spectateur a l'impression de participer à la scène. La stupéfaction se lit sur les visages et dans les attitudes des pèlerins et de l'aubergiste, venu les rejoindre. Et elle devient communicative. Sous l'effet de la surprise, l'un des disciples empoigne son fauteuil. Pour un peu, on prendrait son coude en plein visage. On a même envie de tendre la main pour rattraper la corbeille de fruits, en équilibre ! Pour accroître le réalisme de la scène, Caravage n'hésite pas à introduire le vin, dont la bénédiction n'est pas évoquée dans le texte, faisant ainsi allusion à la Cène (qui renvoie également à la liturgie juive), tout comme le disciple avec les bras en croix nous renvoie à la Crucifixion. Le repas eucharistique est répété par le Christ ressuscité devant les pèlerins d’Emmaüs.

 

Pour les juifs, "Le vin réjouit le cœur de l’homme... le pain nourrit le cœur de l’homme." Ainsi ces deux "aliments royaux"* méritent une bénédiction particulière. La bénédiction sur le pain a préséance sur la bénédiction du vin. Aussi, si celle-ci n'est pas mentionnée, c'est peut-être que la seule bénédiction du pain a suffi aux deux pèlerins pour reconnaître le Christ, avant même qu'il ne bénisse le vin. Cette hypothèse mérite bien sûr d'être vérifiée auprès de théologiens avertis. Cette liturgie de la double bénédiction remonterait loin dans l'histoire d'Israël et accompagne toujours chacun des repas (et à plus forte raison un repas pascal).
 
* Dans la pratique du judaïsme, le pain et le vin sont considérés comme "royaux" : une fois prononcée la bénédiction sur le pain, tous les autres aliments et boissons d'un repas (hormis le vin) sont inclus. De même, la bénédiction sur le vin couvre les autres boissons bues avec lui.

Suggestion : Johann Sebastian Bach, Cantate BWV 66, pour le lundi de Pâques,  Ich fürchte {zwar, nicht} des Grabes Finsternissen... Nun ist mein Herze voller Trost... / {Je craignais certes, Je ne craignais pas} les ténèbres du tombeau... Maintenant mon cœur est rempli de réconfort... (1724)

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Texte biblique : Nouveau Testament, Évangiles, Luc XXIV, 13-32

"Et voici que ce même jour, deux disciples allaient à un village nommé Emmaüs, éloigné de Jérusalem de soixante stades; ils s'entretenaient de tout ce qui s'était passé. Pendant qu'ils parlaient et discutaient, Jésus s'approcha, et fit route avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Il leur dit: De quoi vous entretenez-vous en marchant, pour que vous soyez tout tristes ? L'un d'eux, nommé Cléopas, lui répondit: Es-tu le seul qui, séjournant à Jérusalem ne sache pas ce qui y est arrivé ces jours-ci ? Quoi ? leur dit-il. -Et ils lui répondirent: Ce qui est arrivé au sujet de Jésus de Nazareth, qui était un prophète puissant en œuvres et en paroles devant Dieu et devant tout le peuple, et comment les principaux sacrificateurs et nos magistrats l'on livré pour le faire condamner à mort et l'ont crucifié. Nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël; mais avec tout cela, voici le troisième jour que ces choses se sont passées. Il est vrai que quelques femmes d'entre nous nous ont fort étonnés; s'étant rendues de grand matin au sépulcre et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire que des anges leurs sont apparus et ont annoncé qu'il est vivant. Quelques-uns de ceux qui étaient avec nous sont allés au sépulcre, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l'avaient dit; mais lui, ils ne l'ont point vu. Alors Jésus leur dit: Oh hommes sans intelligence, et dont le cœur est lent à croire tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu'il entrât dans sa gloire ? Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Lorsqu'ils furent près du village où ils allaient, il parut vouloir aller plus loin. Mais ils le pressèrent, en disant: Reste avec nous, car le soir approche, le jour est sur son déclin. Il entra, pour rester avec eux. Pendant qu'il était à table avec eux, il prit le pain ; , dit la bénédiction ; puis il le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent et ils le reconnurent; mais il disparut de devant eux. Et ils se dirent l'un à l'autre : Notre cœur ne brûlait-il pas au dedans de nous, lorsqu'il nous parlait en chemin et nous expliquait les Écritures ?"

"LE TABLEAU DANS LE TABLEAU"

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CUISINIERE ET LE REPAS A EMMAÜS

Diego Velázquez (1599-1660) , c. 1617/18 - National Gallery Ireland, Dublin, Irlande

 

 

Velázquez a commencé sa carrière dans sa ville natale, Séville. Les artistes y avaient la possibilité de traiter de thèmes profanes, les « bodegones » étant particulièrement appréciés des acheteurs : proches des natures mortes, ils désignaient à l’origine les tableaux représentant la cuisine, la nourriture et la boisson et/ou des personnages du peuple le plus souvent des marchands ou des cuisiniers. Sous l’apparence banale de tels sujets se dissimulaient souvent des contenus allégoriques, moraux et religieux.

Si le premier plan est attribué à une nature morte et à une servante qui se concentre à ses tâches domestiques, on aperçoit derrière elle, dans un second plan et dans le coin supérieur gauche, une scène se déroulant dans une pièce adjacente, encadrée comme par une fenêtre ou une ouverture : c'est la Cène à Emmaüs. Ce mélange des genres a été inspiré à Velázquez par des artistes flamands qui utilisaient cette inversion de la hiérarchie des sujets. Le message traditionnel était que l'humble travail quotidien et les actes de la vie domestique peuvent être sanctifiés par un sens spirituel plus profond. Velázquez joue ainsi avec différents plans de réalités, c’est le « tableau dans le tableau ». L’insertion d’une scène secondaire dans le fond oblige le spectateur à faire la connexion entre les deux plans, enrichissant le sens de la toile.

Le mélange des genres n'est pas une simple juxtaposition, mais une déclaration théologique et artistique : Velázquez affirmait que la peinture de genre (le bodegón) pouvait être aussi significative et chargée de sens que la peinture d'histoire ou religieuse, et que la vérité spirituelle se manifestait aussi dans la dignité de la vie la plus simple. En plaçant la scène religieuse en arrière-plan et la scène quotidienne/la nature morte en avant, Velázquez suggère que le divin est toujours présent dans l'ordinaire, souvent de manière discrète.*

* Cette incrustation d'une scène biblique se retrouve chez Jacopo Bassano : Automne, Moïse reçoit les Tables de la Loi, c. 1576

(précédemment attribué à Francesco Bassano). Moïse reçoit sur le mont Sinaï les deux tablettes des Dix Commandements (cliquez =>). 

AUTOMNE, MOÏSE RECOIT LES TABLES DE LA LOI, Jacopo Bassano
c. 1576 - Kunsthistorisches Museum, Vienne, Autriche

LE SANG DU CHRIST DANS LE NOUVEAU TESTAMENT ET L'ICONOGRAPHIE CHRETIENNE, LES GALERIES

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