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La Vigne rouge à Montmajour, Van Gogh, 1888 - Musée Pouchkine, Moscou

LA VIGNE ROUGE

Vincent van Gogh (1853-1890)  

1888

Huile sur toile, 75 x 93 cm

Musée des beaux-arts Pouchkine, Moscou

 

Van Gogh peignit à l'huile trois paysages de vignes : La Vigne verte et La Vigne rouge en Arles où il séjournera à partir du 20 février 1888, Vignes avec vue d’Auvers quand ensuite il est allé fin mai 1890 se faire soigner par le Docteur Gachet. Il y a également peint, à l'aquarelle, de Vieilles vignes et une paysanneLa Vigne rouge est l’une de ses toiles les plus connues, dont on a souvent prétendu et colporté à tort que c’était la seule qu’il avait vendue de son vivant, en février 1890, cinq mois avant son suicide. 

 

L’appel du sud : Van Gogh était allé chercher dans le Midi plus de lumière, plus de couleur. Il nous propose une vendange fin octobre près d’Arles alors que la vigne est rouge. Tout cela est bien curieux : cette vendange située dans une région méditerranéenne serait, à cette date, bien tardive. Habituellement, les vendanges ont lieu avant que la vigne ne prenne cette couleur. Il y a pléthore de vendangeurs, vingt et un ! Il va bientôt faire nuit. Que penser de la réalité de cette vendange ? A-t-elle vraiment eu lieu comme le présente Van Gogh, a-t-elle-même vraiment eu lieu à cette date ?

 

Analysons les faits en nous appuyant sur les Lettres de Van Gogh*. Dans l’une de celles envoyées à son frère Théo, il lui annonce, en date du 3 octobre, qu’il vient de terminer sa Vigne verte.

LA VIGNE VERTE

Vincent van Gogh (1853-1890)  

1888

Huile sur toile, 73,5 x 92,5 cm

Musée Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo, Pays-Bas

« Ah ! Mon étude des vignes, j’ai sué sang et eau dessus, mais je l’ai… Les vignes que je viens de peindre sont vertes, pourpres, jaunes à grappes violettes, à sarments noirs et orangés. À l’horizon, quelques saules gris bleu et le pressoir bien, bien loin, à toit rouge et silhouette de ville lilas lointaine. Dans la vigne des figurines de dames à ombrelles rouges et d’autres figurines d’ouvriers vendangeurs avec leur charrette ». La scène est décrite minutieusement. Visiblement, la vendange a bien démarré, même si c’est encore à petite vitesse. La vendange se poursuit au mieux de sa forme. Le 10 (ou 11) octobre : « Si tu voyais les vignes ! Il y a des grappes d’un kilo même -  le raisin est magnifique cette année ». Si le début de l’été avait été particulièrement maussade, il faisait un temps radieux depuis septembre. Le raisin avait été abondant, avec une bonne maturité début octobre.

 

Gauguin le rejoint dans le Midi fin octobre. Dans une lettre, toujours à Théo, et datée cette fois-ci du 3 novembre, Van Gogh lui relate la promenade qu’il a faite avec Gauguin – à Montmajour, au Trébon, à quelques kilomètres d’Arles et non loin du moulin de Fontvieille - le dimanche précédent, le 28 octobre, alors que le soleil se couchait : « Nous avons vu une vigne rouge, toute rouge comme du vin rouge. Dans le lointain elle devenait jaune, et puis un ciel vert avec un soleil, des terrains, après la pluie, violets et scintillant jaune par-ci par-là où se reflétait le ciel couchant »**. Qu’en est-il des suites de cette promenade ? Pour Gauguin, Van Gogh est encore une fois notre chroniqueur. Le 3 novembre : « Il a en train des femmes dans une vigne, absolument de tête mais s’il ne le gâte pas ni ne le laisse là inachevé cela sera très beau et très étrange » ; le 10 novembre, « Gauguin a terminé sa toile des vendangeuses ». Si Gauguin a bien gardé le souvenir de ces couleurs pourpres et jaunes, ces femmes dont parle Van Gogh sont des Bretonnes bien reconnaissables à leur coiffe ! Van Gogh d’ajouter : " et moi je n'ai pas vu les choses bretonnes ".

VENDANGES A ARLES (MISÈRES HUMAINES), Paul Gauguin (1848-1903), 1888 - Ordrupgaard, Copenhague

VENDANGES A ARLES (MISÈRES HUMAINES)

Paul Gauguin (1848-1903)

1888

Huile sur toile de jute, 73,5 x 92 cm

Ordrupgaard, Copenhague, Danemark

 

Pour Van Gogh lui-même, le 3 novembre, juste après avoir évoqué les « femmes dans une vigne » de Gauguin : " Je travaille actuellement à une vigne toute pourpre et jaune ". Le 10 novembre, après avoir indiqué que "Gauguin a terminé sa toile des vendangeuses" il indique : « J’ai fini moi aussi une toile d’une vigne toute pourpre et jaune avec des figurines bleues et violettes et un soleil jaune ». Rien de plus, il n’est nullement question ici de vendanges et nous sommes bien loin du luxe de détails donnés pour l’achèvement de sa Vigne verte. Le paysage est envahi par des vendangeurs dont on n’a jamais entendu parler. Toujours dans la même lettre, il ajoute aussitôt après : « Je vais me mettre à travailler souvent de tête, et les toiles de tête sont toujours moins gauches et ont un air plus artistique que les études sur nature, surtout lorsqu'on travaille par un temps de mistral ». Quelques paragraphes plutôt, il disait à son frère qu’il « ne trouve pas désagréable de chercher à travailler d’imagination, puisque cela me permet de ne pas sortir… le froid ne fait pas mon affaire comme tu sais. » Mais c’est surtout  sous l’influence de Gauguin que Van Gogh décide de donner place dans ses œuvres à sa mémoire et à son imaginaire (il le confirme à Théo dans une lettre du 11 (ou 12) novembre : « Gauguin me donne le courage d’imaginer et les choses d’imagination certes prennent un caractère plus mystérieux » ; et à sa sœur Willemien dans une lettre du 12 novembre alors qu’il vient tout juste d’achever sa Vigne rouge : « Il m’encourage beaucoup à travailler souvent en pleine imagination ».

 

Il ne pouvait en être autrement, les vendanges ayant démarré en Provence, cette année-là, vers le 20 septembre. Dans cette vigne, elles y avaient été faites un mois plutôt, telles que décrites par Van Gogh pour sa Vigne verte, et il n'y avait plus personne depuis dans cette vigne. Les deux peintres ont donc travaillé de mémoire et s’ils ont gardé le vif souvenir de couleurs pourpres et jaunes (la teinte rouge et jaune du feuillage est bien typique des couleurs de la vigne après la vendange, fin octobre, en fin de cycle végétatif), ils ont lâché la bride à leur imagination pour le reste. Van Gogh aimait les oppositions de couleur audacieuses. Dans sa lettre du 3 octobre à Théo déjà citée : « Lorsque tout le feuillage des arbres sera jaune, ce sera contre le bleu quelque choses d’épatant – Ziem nous a déjà bien des fois montré ces splendeurs-là ». Le sujet du tableau exprime ici comme une mise en scène qui semblerait recouverte de couleur, celle choisie par Van Gogh étant choisie simplement d’après l’effet qu’elle produit dans le tableau. Avec ce traitement de la couleur, cette splendide composition annonce le fauvisme.

 

Cette œuvre de composition (comme l'oeuvre de Gauguin) nous démontre clairement qu’il serait préférable de dire que les peintres racontent une histoire du vin, la leur, et non pas l’histoire du vin.

 

 

* Van Gogh entretenait des relations épistolaires étroites avec les membres de sa famille, et notamment avec son frère Théo (652 lettres sur un total de plus de 900). Elles sont un témoignage très précis et minutieux des circonstances dans lesquelles il a produit ses œuvres.

 

** Dans une de ses lettres à sa mère, en juillet 1889, Van Gogh lui dit qu’il se souvient « d’une toile qu’il avait envoyée à Théo, avec une vigne toute pourpre et cramoisie, avec du jaune, du vert et du violet comme la vigne vierge en Hollande".

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