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De l'ébriété à l'ivresse, il n'y a qu'un pas

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CARRIÈRE D'UN ROUÉ III : ORGIE

William Hogarth (1697-1764)  
1732-1735
Sir John Soane's Museum, Londres

 

 

 

 

Dans la troisième planche, L’Orgie, d’une série consacrée à La Carrière d’un Roué, William Hogarth met en en scène un libertin type : Tom, un jeune homme in­fluençable, qui originaire de la campagne vient de débarquer à Londres après avoir hérité d’une grosse somme et dilapide son argent. À trois heures du matin, il se trouve dans une taverne à prostituées, Rose Tavern, Drury Lane, à Covent Garden, au beau milieu d’une orgie. Avachi, épuisé, il a l’air émasculé et ridicule. Les « vins étrangers » l’ont rendu aussi saoul qu’un lord (As drunk as a Lord). Une prostituée atteinte de syphilis en profite pour glisser une main sous la chemise de Tom, tandis que l’autre tend la montre de ce dernier à l’une de ses compagnes. Autour de la table, de gauche à droite, deux prostituées disputent un concours de crachats, un serveur porte une bougie et un grand plateau qui, sur la table, servira d’estrade à la prostituée qui enlève ses vêtements.

Une femme chante Black Joke, une chanson paillarde qui a vu le jour cinq ans auparavant. Sur les murs, des tableaux d’empereurs romains soulignent les parallélismes entre certains bas-fonds de Londres et la décadence romaine. Ils voisinent le portrait d’un certain Pontac, fameux chef londonien, sans doute pour rappeler que cette maison se veut celle du plaisir des sens. Il s’agit de François-Auguste de Pontac que son père, Arnaud III de Pontac, a en 1666 envoyé à Londres pour ouvrir le tout premier restaurant de la ville – Pontac’s Head – où sera servie une cuisine beaucoup plus élaborée que ce que l’on pouvait alors trouver dans les tavernes traditionnelles et qui était préparée chez des traiteurs. Cet établissement deviendra très vite un lieu de rencontre pour les lumières de l’époque et une plate-forme idéale pour promouvoir les vins du domaine, le fameux Haut-Brion des non moins fameux Pontac, inventeurs du « New French Claret ».

XVIe-XVIIe SIÈCLES

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1-2-3. Plus étonnantes sont les œuvres directement porteuses du message de la morale ambiante, celle de l’Église. Le thème des péchés capitaux fait référence à la Bible qui dénonce sept vices comme principaux, c’est-à-dire comme ceux dont découlent tous les autres. Aux XVe et XVIIe siècles, ils inspirent les artistes qui les traiteront sous forme d'allégories au contenu moral.

Dans son monde imaginaire, son Allégorie de la gourmandise et son Allégorie de l'intempérance - Pour en savoir plus et accéder aux œuvres dans leur décor >> -, Jérôme Bosch dénonce l’ivresse et plus généralement celle des sens, comme dans La Tentation de Saint Antoine où il donne une forme à l'idée dont était hantée la société de la fin du Moyen-Âge : l'empire de Satan sur le monde et les luttes de l'âme. La luxure, la gloutonnerie et le vin s'unissent et sont sur le point de faire vaciller l'ermite. L'historien d'art Wilhem Fraenger évoque le Deutéronome (XXXII, 33) : "le vin est le venin des serpents, c'est le poison cruel des aspics".

 

6. Le panneau de Lorenzo Lotto Allégorie du Vice et de la Vertu fut peint à l’origine pour protéger le portrait de son mécène Bernardo Rossi, mécène de Lotto. De chaque côté du blason de l’évêque figurent deux “paysages moralisés” de contenu volontairement opposé : à gauche, la voie menant à la Vertu est symbolisée par un enfant tout à son activité, dépeint au premier plan près de rochers et de plantes épineuses, mais sur un fond de pâturages ensoleillés. À droite, le chemin menant au Vice est au contraire symbolisé par un satyre ivre étendu sous un groupe d’arbres.

 

8. Plus prosaïquement, il s’agit donc de bien faire comprendre qu’il y a un réel danger à ne pas se comporter comme il convient pour mériter d’aller au paradis. Plus d'un siècle après, c'est ainsi qu'avec beaucoup de raffinement et une splendide composition, Le Tricheur à l’as de carreau de Georges de La Tour illustre le thème de l'opposition entre l'innocence et le vice. Le jeune homme est ici soumis aux trois tentations majeures selon le XVIIe siècle : le jeu, le vin, la luxure. Pour en savoir plus et accéder à l'œuvre dans son décor >>

11. En tant qu'incarnation du vice, les femmes buvant du vin, quitte à en être ivres, constituent un motif essentiel de l'œuvre de Vermeer. Cet intimiste hollandais de l'École de Delft peint dans un style élégant et raffiné, la vie intime des femmes silencieuses et intemporelles à qui il donne une impression de naturel qui émeut. Il va consacrer sept de ses œuvres aux effets sinon aux méfaits du vin (sur un total de seulement trente-cinq connues). Si La Jeune femme endormie ici représentée traite des méfaits d'une consommation immodérée, le vin dans les cinq autres œuvres est très clairement désigné comme l’instrument de la séduction à qui il donne toute sa saveur (cf. Galerie " Amour et séduction").

 

Le vin est comme un philtre d’amour qui peut avoir deux sortes d’effets, soit un amour extrême et insensé, soit un état de mélancolie paralysante... "Une jeune femme a l'air endormie. À ses vêtements élégants, on peut deviner que cette jeune femme est la maîtresse de maison et non pas une servante (NDLR. comme cela est souvent dit). Son geste, la tête appuyée sur la main, n'est pas tout-à-fait évident. On pourrait le prendre pour une manifestation mélancolique, mais il est plus probable qu'il s'agit là d'une référence à la tradition thématique de l'"acedia", l'indolence, Dans la théologie du Moyen-Âge, elle était considérée comme un vice, et même comme un péché mortel.  une époque où les autorités religieuses avaient établi une éthique du travail rigide et ascétique dont les normes s'étendaient jusqu'au domaine domestique : on considérait que la femme qui violait ces normes violait également les lois divines". La "mère de famille" devait être respectueuse envers Dieu et vertueuse et être un exemple évident des vertus chrétiennes et un modèle pour les domestiques. L'acedia était souvent définie comme le résultat de l'ivrognerie. La consommation excessive de vin de cette jeune femme a manifestement un rapport avec une relation extra-conjugale. Le tableau accroché au mur n'est pas là par hasard et nous fournit une indication en ce sens. Vermeer cite ici une peinture de Cesar Van Everdingen qui représente un petit éros démasqué (et qui appartenait à Vermeer et que l'on retrouvera notamment dans La leçon de musique interrompue). Enfin des cruches en faïence de Delft ne cessent d'apparaître dans les toiles de Vermeer. Elles contiennent du vin, un philtre d'amour qui doit séduire les femmes." (Source : Robert Schneider, Vermeer, Taschen).


 
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2. Vermeer s'est sans doute inspiré des scènes de genre des peintres hollandais de son époque tel Nicolaes Maes et sa Servante oisive de la National Gallery. Le thème de l'acedia y est également bien présent, mais dans un contexte social différent. Ici, c'est la servante qui s'est régalée avec le vin de ses maîtres et a négligé son travail, comme nous l'indiquent la vaisselle en désordre et à même le sol, et le chat qui s'empare du poulet.


 
15 à 24. « Toute ivresse comporte donc des oscillations entre des extrêmes qui produit l’alternance entre une exubérance et un abattement, entre une phase d’explosion et une autre de dépression. L’ivresse est bien un vécu contrasté qui alterne joie et tristesse ». C’est ce que nous confirment également d'autres peintres hollandais. Habitués des scènes paysannes et de liesse populaire (Jan Sanders van Emessen, David Teniers, …), ils nous montrent femmes et hommes tombant par terre ivres morts ou en venant aux mains. C’est ainsi que Jan Steen nous dépeint, par exemple avec La Dispute au jeu, Le Couple ivre ou Les Effets de l’intempérance.

 

In The Topsy-Turvy World (In Luxury, Beware)..., "Jan Steen arranges the various actors as though on a theater stage. The gentle depth of the composition is based on a triangle, with the magnificently dressed young woman at its top point. Her clothing and seductive look identify her as a “loose-living” girl. She, however, is not the focus of the scene; that is provided by the lady of the house, who has fallen asleep at the table on the left. Her “absence” has resulted in the rest of the story: the dog is finishing the meat pie that was served on the table, one of the children is filching something from the cabinet on the wall (“opportunity makes the thief ”), the little girl’s brother is trying out a pipe, and the youngest child, sitting in his highchair, is playing carelessly with a string of pearls. His attention diverted to the side, a young man is trying to play a violin. Young people who continued to live at home were considered suspect in the popular culture of the Netherlands at the time. The prostitute in the foreground has already been mentioned: in a rovocative gesture she holds a filled glass between the legs of the man of the house, while he dismisses with a grin the admonishment of the nun (a Beguine?) standing on the right. The duck on the shoulder of the man next to her identifies him as a Quaker, who urges the reading of pious texts. Finally, the pig in the doorway to the kitchen is an allusion to another proverb: “Neither cast ye your pearls [here: roses] before swine”. Hanging above the heads of these sinners are the symbols of the penalty to be expected for unbridled, lustful behaviour: a sword and a crutch in a basket suspended from the ceiling. The painting’s traditional German title “Die verkehrte Welt” (“The Topsy-Turvy World”) is not completely in accordance with the content, because this is really a humorous warning against one of the seven deadly sins, luxuria extravagance, later lust). An interesting biographic detail: at times Steen had to earn a living by running an inn and a brewery" (© Cäcilia Bischoff, Masterpieces of the Picture Gallery. A Brief Guide to the Kunsthistorisches Museum, Vienna 2010).

XVIIIe SIÈCLE

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1. Un siècle plus tard, une véritable mode de l’ivresse avait cours dans l’aristocratie parisienne. La condamnation morale de l’ivresse était encore forte. Elle était aussi considérée comme une faute rédhibitoire de savoir-vivre, mais le champagne bénéficiait d’une image qui en limitait l’infamie. Il y avait certes l’ivresse, mais il y avait aussi le plaisir des sens, la joie collective et même une bénédiction médicale : « De nuages fâcheux ne trouble point la fête, Jamais dans l’estomac n’excite la tempête, Il est tendre, il est net, délicat et léger ». Le spectacle de cette débauche autorisée apparaît au grand jour dans Le Déjeuner de jambon, commandé par Louis XV à Nicolas Lancret ; et maintenant conservé au musée Condé du château de Chantilly.

3. Cornelis Troost est l’un des rares artistes hollandais à avoir su adapter la peinture de son pays au siècle nouveau, ainsi que la traditionnelle et illustre scène de genre aux modes nouveaux, inspirés à la fois par les fêtes galantes de style français et par la manière humoristique de Hogarth. Il a scruté les mœurs de la société de son temps avec un trait incisif.

 

5. L’ivresse n’est pas l’apanage de l'aristocratie et de ses fêtes galantes. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les excès de cette société libertine incitent le gouvernement français ainsi que certains penseurs, tel Diderot, à encourager fortement le retour à une vie plus vertueuse. Non seulement la littérature doit promouvoir cette moralisation, mais la peinture également. Face aux scènes de genre et de marivaudage qui avaient envahi les cimaises dans les précédents Salons (dont Diderot est un critique reconnu de 1759 à 1781), la vertu et la morale reprennent leurs droits. Jean-Baptiste Greuze, peintre de genre autodidacte originaire de Tournus est alors un des peintres les plus remarqués : il donne un caractère vrai et naturel à ses figures et à ses compositions. La simplicité et l’honnêteté des sentiments font le succès de ses tableaux, édifiants. Avec Le Cordonnier ivre, Greuze met en garde contre les méfaits de l’ivresse et se réfère à l'adage selon lequel « les enfants du cordonnier n'ont jamais de chaussures ». Avec leur mère, ils admonestent leur père.

6. Le Maçon ivre est emmené hors du chantier par deux de ses compagnons. Ils ne peuvent retenir leurs petits sourires narquois : le maçon perd son pantalon et ses chaussettes ne tiennent plus.

XIXe SIÈCLE

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1. "Since the middle ages monks had a reputation for indulgence. In Protestant England they were an especially common target for satire, representing everything that was deemed to be corrupt within the Catholic church" (Source: Tate). These monks are merrymakers in a very festive mode. They drink a lot and are very probably drunk. Unexpectedly, a woman is also seated around the table. She is laughing and giving one of the monks a promising look.

2. Outside a pub, a drunk man hesitates between going home to his wife or staying to drink again with his friends.

4. Five Points was a slum on the Lower East Side of Manhattan. Declared in 1858 in the New York Herald a “nest of drunkenness, roguery, debauchery, vice, and pestilence,” the neighborhood was home to a combustible mix of New York’s poorest citizens: recently arrived (predominantly Irish) immigrants, unskilled laborers, and African Americans. Highlighting the district’s renowned chaos and vulgarity, the figures in the painting fight, flirt, and generally misbehave amid dilapidated buildings (source : Met).

7. After a Long Cruise, a comic view of daily life on a dock, displays the bawdy humor popular at midcentury. Three drunken sailors wreak havoc by accosting a well-dressed black woman and knocking over a fruit-and-nut vendor’s stand.

 

10. Le vin, c’est aussi de l’alcool, en particulier au XIXe siècle. Il y fait des ravages. C’est alors que Mihaly von Zichy nous présente son Falstaff au pichet de vin et à la pipe. Ce personnage du théâtre de Shakespeare (1597), plutôt attachant, est un alcoolique avéré. Le sack (xérès)  était sa boisson favorite : « Quand j’aurai mille fils, le premier principe d’humanités que je leur inculquerai sera de renoncer aux breuvages sans force et de s’adonner au sack » (Henri IV, II° partie, acte IV, sc. 3). Le mot fatidique est prononcé : s’adonner !

11. Dans une composition d’une grande audace, Edgar Degas Dans un café saisit l’addiction à l’alcool - largement répandue - de son époque. L'œuvre représente un homme et une femme sur la banquette d'un café, l'air morne, les vêtements usés, le regard triste. Elle, les épaules tombantes, l’air absent, a le visage pâle des buveurs d'absinthe. Lui, détourne son regard d'elle et a la face ravagée par le vin (...). Ces personnages frappent par la solitude extrême qu'ils expriment.

Expo­sée pour la première fois à Londres en 1876, l'œuvre de Degas provoque un grand scandale auprès du public victorien. Pourtant, ce thème du café n'a rien de novateur: il remonte à la peinture hollandaise du XVIIème siècle. Ce qui choque à l'époque, c'est le traitement même du sujet, son réalisme outré et son caractère trivial. Degas "analyse" la scène sans aucune complaisance avec un regard pénétrant, lucide et critique sur les mœurs de son temps. Ainsi rapproche-t-on cette toile du roman de Zola, L'Assommoir, l'écrivain avouant au peintre : « J'ai tout bonnement décrit, en plus d'un endroit dans mes pages, quelques-uns de vos tableaux ». Cet instantané comme pris sur le vif devait aussi influencer Manet et Toulouse-Lautrec.

 

12. Manet utilise un cadrage moins serré dans l’Intérieur d’un café, place du Théâtre Français. Le seul client est une femme aux allures de pocharde qui regarde au loin dans le vide. Le café vient d’ouvrir : l’alcoolisme n’a pas d’heure !

 

14. À la fin du XIXe siècle, l’abondance de vin à bon marché aidant, l'alcoolisme fait des ravages dans les classes sociales les plus défavorisées, en Belgique comme en France. Eugène Laermans a depuis ses débuts de peintre manifesté un réalisme à tendance sociale et humanitaire, ses compositions mettant régulièrement en scène ouvriers et paysans. Il illustre ici l'alcoolisme, thème rencontré chez d'autres peintres belges de la même époque (tels Henry de Groux et James Ensor).

 

Les premières victimes de cet ivrogne sont sa femme et ses enfants (comme dans Le Cordonnier ivre de Greuze). La scène se passe en hiver, la famille occupant le premier plan. Derrière elle, sur l'autre rive, on aperçoit les cheminées d'usine en activité. L'ivrogne, inconscient, marche mécaniquement, soutenu par sa femme, longue et efflanquée, les paupières lasses et la résignation dans le regard tandis que leur petite fille, le visage vieilli, regarde ce terrible spectacle..

 

Cette addiction à l'alcool, "une seconde nature", évoque la fable d’Ésope La Femme et l'ivrogne*.

17. Van Gogh s'adonnait également à l'alcool. Alors qu'il séjournait à l'asile de Saint Rémy, près d'Arles, Vincent Van Gogh fit des copies d'œuvres d'artistes qu'il admirait. C'est ainsi qu'il copia à la peinture une gravure d'Honoré Daumier Physiologie du buveur, les quatre âges. Le titre de l'œuvre de Van Gogh Buveurs masque en partie l'intention caricaturale et parodique, sinon allégorique, de Daumier.

 

Le plus âgé des quatre protagonistes (situé au milieu) s'adonne au vin, alors que l'homme mûr (à gauche) étanche sa soif d'alcoolique avec de la bière et que le jeune homme de droite joue les gros bras en vidant rapidement son verre d'absinthe, dont la couleur verte est la tonalité générale de la toile. "Comme chantent les vieux, piaillent les jeunes" dit un proverbe hollandais bien connu (mis en scène notamment par Jan Steen, cf. galerie "Fêtes et vie en société" >>) : devant ce spectacle donné par les adultes, l'enfant se précipite goulûment sur un verre de lait. A chaque âge sa boisson et ses excès !

 

18Le Buveur, œuvre de jeunesse de Toulouse-Lautrec, est saisissant de vérité. Déjà alcoolique et l’assumant complètement (« Je boirai du lait le jour où les vaches brouteront de la vigne. »), l’artiste connaissait bien son sujet !

 

19. Suzanne Valadon était la maîtresse de Toulouse-Lautrec et son modèle. Il lui donnait des leçons de peinture. C'est elle qui pose pour Gueule de bois. Elle incarne une femme du peuple, seule, accablée par l’alcool. Elle fut la première femme peintre à être admise à la Société Nationale des Beaux-arts.

20. Le titre de ce tableau vient de "Un miché à la mie", terme de l'argot de l'époque pour désigner un client qui néglige de payer les services d'une prostituée 

Une femme avait un ivrogne pour mari. Pour le défaire de son vice, elle imagina l’artifice que voici. Elle observa le moment où son mari engourdi par l’ivresse était insensible comme un mort, le chargea sur ses épaules, l’emporta au cimetière, le déposa et se retira. Quand elle jugea qu’il avait cuvé son vin, elle revint et frappa à la porte du cimetière : « Qui frappe à la porte ? » dit l’ivrogne. « C’est moi qui viens apporter à manger aux morts », répondit la femme. Et lui : « Ne m’apporte pas à manger, mon brave, apporte-moi plutôt à boire : tu me fais de la peine en me parlant de manger, non de boire. » La femme, se frappant la poitrine s’écria : « Hélas ! que je suis malheureuse ! ma ruse même n’a fait aucun effet sur toi, mon homme ; car non seulement tu n’es pas assagi, mais encore tu es devenu pire, et ton défaut est devenu une seconde nature. » 

 

Cette fable montre qu’il ne faut pas s’invétérer dans la mauvaise conduite ; car il vient un moment où, bon gré, mal gré, l’habitude s’impose à l’homme  (Fables d'Esope, traduction par Emile Chambry, 1927, La Femme et l'ivrogne).

Fin XIXe SIÈCLE - XXSIÈCLE

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2. Ce buveur sur un banc est un témoignage de la vie quotidienne de l'époque telle que Hopper l'a connue lors de ses trois séjours parisiens entre 1906 et 1910. C'est ce qu'autre fois on avait l'habitude d'appeler un "clochard", dont les bancs, le vin et le pain étaient le refuge quotidien.

5.  La Buveuse de Champagne de Hans Heyerdahl aurait inspiré Munch pour Le Jour d'après (cf. 6). Ne pourrait-on pas alors l'appeler "Le Soir d'avant" ?

6. Le titre du tableau d’Edvard Munch Le Jour d’après est suffisamment éloquent. Mais ce Lendemain de cuite (son autre titre) n’est pas un simple récit anecdotique. Il est le témoin impuissant d’une vie rongée par l’alcool, comme celle de l'artiste.

12. Modigliani et Soutine ont entretenu une amitié étroite. Tous deux avaient en commun la lutte contre la pauvreté, l’alcool et la drogue. Modigliani a peint le portrait de Soutine à plusieurs reprises. « La manière indisciplinée et spontanée de peindre Soutine était étrangère à son ami italien qui, pour décrire son propre état d’ivresse, a un jour plaisanté, 'Tout danse autour de moi comme dans un paysage de Soutine' » (Source : National Galleryof Art, Washington).

18. Bernard Buffet exprime dans ce Buveur assis, personnage esseulé au regard triste comme perdu dans le vague, la solitude, la misère humaine et un profond abattement que l’alcool tenterait de consoler. En avril 1948, il le présente au Prix de la Jeune Peinture organisé chez Drouant-David à Paris. Le Dr Girardin, collectionneur d’art contemporain, acquiert cette toile et attire l’attention de la galerie sur ce jeune peintre qui n’a que vingt ans. Celle-ci propose à Bernard Buffet un contrat d’exclusivité. Le succès est désormais devant lui.

 

Dominique Gagneux, commissaire de la rétrospective Marcel Buffet organisée en 2017 au Musée d’Art Moderne de Paris précise que « Ce tableau constitua l’un des premiers achats de l’amateur [Louis Girardin], fasciné comme beaucoup par le regard désespérément absent qui s’inscrivait dans la tradition des buveurs d’absinthe de Degas [1875/76, cf. ci-dessus] à Picasso [1907] » (Catalogue de l’exposition). Ceci ne veut pas dire pour autant que c’est ce que boit le buveur de Buffet, l’absinthe étant alors interdite depuis 1915.

LES APPARENCES SONT TROMPEUSES

L'IVROGNE, Joaquín Sorolla, 1910 - National Gallery, Londres

L'IVROGNE, ZARAUTZ (EL BORRACHO, ZARAUZ)

Joaquín Sorolla (1863-1923)

1910

National Gallery, Londres

 

Cette toile est une représentation de la moquerie et de la cruauté de paysans vis-à-vis de la dépendance à l’alcool de l'un des leurs. Plusieurs buveurs sont réunis dans une taverne située à Zarautz, ville côtière du Pays basque située près de Saint-Sébastien et bien connue de Joaquín Sorolla. L'un d'entre eux pousse un verre vers l'ivrogne, l'incitant à encore plus d'excès. Il est dit qu’il boit du cidre, reconnaissable à sa couleur et dont la région est depuis le XIIe siècle une grande productrice. En revanche, il est peu vraisemblable que son ivresse ne soit due qu’à cette boisson dont la teneur en alcool est assez faible. Deux autres bouteilles, dont la forme bien différente évoque plutôt le vin, reposent vides sur la table et semblent nous démontrer le contraire. Elles sont très probablement des vestiges de cette beuverie.

L'ADDICTION A L'ALCOOL ENTRETIENT L'ANGOISSE DE L'ARTISTE

LE CRI

Edvard Munch (1863-1944)  
1893
Galerie nationale, Oslo, Norvège

 

 

"Le Cri" d’Edvard Munch, ici dans sa première version de 1893 (il y en aura cinq au total, de 1893 à 1910), est une des représentations de l’anxiété intense et de la peur existentielle du peintre norvégien, entretenues alors, sinon induites par son addiction à l’alcool. Peintre de ses émotions, mais aussi de ses démons, il est inspiré par une vision lors d'une promenade avec des amis :   « Je me promenais sur un sentier avec deux amis — le soleil se couchait — tout d’un coup le ciel devint rouge sang. Je m’arrêtai, fatigué, et m’appuyai sur une clôture — il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville — mes amis continuèrent, et j’y restai, tremblant d’anxiété — je sentais un cri infini qui passait à travers l’univers et qui déchirait la nature ».

Le peintre représente un personnage presque momifié, qui se couvre les oreilles. Cherche-t-il à échapper à un cri insoutenable ? Il est à la fois le protagoniste et la victime anonyme d’une scène d’épouvante. Le ciel est rougeoyant et torturé, peut-être inspiré d’un phénomène scientifique bien réel (les cendres déversées dans l’atmosphère par l’irruption d’un volcan en Indonésie, qui aurait eu des répercussions jusqu’au Nord de l’Europe) ?

Pour en savoir plus >> Focus : un regard, une oeuvre

LE VIN DE L'IVRESSE ET DE L'ALCOOLISME OU LE VIN DES CONNAISSEURS, LES GALERIES

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