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Le café est un carrefour social et une famille de substitution

"Café de nuit", Van Gogh, 1888 - Yale University Gallery, New Haven, Etats-Unis | Au café | Vie quotidienne | De boire en savoir-boire | Vin et Peinture | Le Musée Virtuel du Vin

CAFÉ DE NUIT

Vincent Van Gogh (1853-1890) 

8 septembre 1888

Yale University Gallery, New Haven, Etats-Unis

 

 

 

 

 

 

Vincent Van Gogh écrit à son frère Théo (août 1888) : " Je vais aujourd'hui probablement commencer l'intérieur du café où je loge.. C'est ce qu'on appelle ici un "café de nuit" (ils sont assez fréquents ici) qui restent ouverts toute la nuit. Les "rodeurs de nuit" peuvent y trouver refuge un asile donc, lorsqu'ils n’ont pas de quoi se payer un logement ou qu’ils soient trop souls pour y être admis". Le café est peu animé et le violent éclairage des lampes à gaz accentue sa désolation. Sous le regard du garçon de café, un couple et quelques rares clients assoupis traînent leur solitude jusqu’à tard dans la nuit. Le vin y côtoie l’absinthe. 

Van Gogh ajoute  un mois plus tard : "Dans mon tableau du café de nuit j’ai cherché à exprimer que le café est un endroit où l’on peut se ruiner/ devenir fou/ commettre des crimes. Enfin j’ai cherché par des contrastes de rose tendre et de rouge sang et lie de vin_De doux vert Louis XV et Veronèse contrastant avec les verts jaunes et les verts bleus durs_Tout cela dans une atmosfère (sic) de fournaise infernale de Souffre pâle_Exprimer comme la puissance des ténèbres d’un assommoir". L'expressionnisme de Van Gogh traduit intensément la prémonition d’un destin de perdition. Quelques mois plus tard, il est atteint d’une crise de folie et s’en prend à Gauguin venu à Arles à son invitation. Près de deux ans plus tard, il se suicidera à Auvers-sur-Oise. 

XIXe SIÈCLE

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Les cafés naissent au siècle de l’Esprit des Lumières, le XVIIIe. Ils sont alors à Paris « les salons de l’intelligence et la double marque de la distinction sociale et intellectuelle. On y boit d’ailleurs rarement du vin (du champagne tranquille ou effervescent, du tokay, des vins du Rhin) ». Ils ne sont pas représentés par les maîtres de la peinture qui ne s'intéressent pas encore, pour la plupart, à la scène de genre. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, les cafés se démocratisent et sous des appellations très diverses (cabaret, marchand de vin, mastroquet), drainent toutes les catégories sociales, tous les corps de métier. On y trouve tout le monde.  Lieu de lumière, de chaleur et de rencontres, le café est devenu un carrefour social obligé. Entre les murs, "on" parle, "on" joue, "on" boit, "on" fume, le tout le plus souvent dans l’anonymat et la sociabilité.

1.  Cafés et cafés concerts deviennent le centre de la vie urbaine. Là encore, c’est la ville haussmannienne qui leur a donné cette importance, dégageant sur les grands boulevards de larges trottoirs sur lesquels se répandent cafés et restaurants, resplendissant le soir de la lueur du gaz. Dans ses Femmes à la terrasse d’un café le soir, Degas y met en scène "des prostituées, créatures fardées, flétries, suant le vice, qui se racontent avec cynisme leurs faits et gestes du jour" (Georges Rivière, critique d'art, 1877).

3. Pour nombre de leurs clients, les cafés sont comme une famille de substitution et une façon de tuer le temps quitte, comme cette femme ivre, à s’endormir sur l’épaule de son voisin dans Au Café Le Bouchon d’Édouard Manet, un familier des cafés parisiens en tous genres.

5. Cet homme  se plante là comme un pilier de brasserie ainsi qu'en témoignent, sur la table derrière lui, quatre soucoupes de faïence devant un verre à absinthe.  Aussi a-t-on pu voir dans cette peinture un manifeste contre la libéralisation des débits de boisson décidée par la loi du 17 juillet 1880 alors que l’absinthe, très alcoolisée (titrée à 70%), étendait ses ravages, notamment dans les milieux populaires, dans les assommoirs de l'époque (L'Assommoir, roman d'Emile Zola, nom d'un débit de boissons fréquenté par le monde ouvrier). La chute de ses prix - un verre de la « fée verte » est alors moins cher qu’un verre de vin -, couplée à la crise du phylloxera, va faire s’envoler sa consommation qui passe de 700 000 litres en 1874 en France à 36 millions de litres en 1910 (pour une population totale de 41 millions d'habitants). La consommation de l’absinthe sera combattue sans trêve lorsque le vin entrera en surproduction au début du XXe siècle. Accusée de rendre fou et criminel, elle finira par être abattue, interdite en 1915,  grâce aux efforts conjugués de l’Académie de Médecine, des ligues antialcooliques et des très puissants syndicats viticoles.

 

 

10. Le 23 octobre 1888, Paul Gauguin arrive chez Van Gogh en Arles. Café la nuit, portrait de Madame Ginoux est de la part de Gauguin l’une de ses interprétations d’œuvres de Van Gogh. On est loin de l’impression de désolation que celui-ci avait rendue. Les visiteurs anonymes s’effacent derrière l’imposante stature de Madame Ginoux, la propriétaire du café. Gauguin n’avait que faire de la face cachée de la vie, il préférait peindre en faisant appel à son imaginaire (comme il le démontre aussi dans Vendanges à Arles, ou Misère humaines). Paul Gauguin nous dépeint "un café que Vincent aime beaucoup et que j’aime moins. Au fond, ce n’est pas mon affaire et la couleur locale canaille ne me va pas. Je l’aime bien chez les autres, mais j’ai toujours de l’appréhension. C’est affaire d’éducation et on ne se refait pas" (Paul Gauguin, Lettre à Emile Bernard). Si la toile de Gauguin ne dégage pas le même expressionnisme sans inhibition que celle de Van Gogh, elle met en scène dormeur et prostituées, personnages classiques des cafés ouverts toute la nuit.

12. Pour Munch, Paris était « trop bruyant » et « trop cher ». Début 1890, comme d’autres artistes et écrivains, il fuit l’épidémie de choléra qui y sévit et s’installe dans une petite chambre à l’hôtel Belvédère dans la banlieue de Saint-Cloud. C’est très probablement dans cette "taverne" qu’a lieu cette scène. Un homme prend un verre sur le zinc. Il a l’air solitaire, triste et mélancolique : comme Munch sans doute, très affecté par la perte soudaine de son père quelques mois plutôt…

 

14-15. Les personnages de Cézanne dégagent une impression d’équilibre et de tranquillité.

16-17. Dans Les Joueurs de cartes de Paul Cézanne, au Musée  d'Orsay comme au Quatar*, la bouteille, sur laquelle joue la lumière, constitue l'axe central de la composition, séparant l'espace en deux zones symétriques et accentuant l'opposition des joueurs : Cézanne prend pour modèles des paysans qu'il observait dans la propriété familiale du Jas de Bouffan, proche d’Aix-en-Provence. Les deux hommes, endimanchés, n’ont pas quitté leur chapeau. Ils paraissent figés et concentrés sur leur jeu. Le café, sans qu’il soit possible de l’identifier, paraît des plus modestes : table de bois couverte d’une nappe courte, chaises ordinaires, simple bouteille de vin. Seul un miroir mural donne de l’éclat au décor.

 

20. « Le soupeur et la soupeuse » est un thème récurrent chez les artistes de cette époque que l'on dit Belle. Que ce soit au café ou au restaurant tous s'y sont essayés. Joyeux, misérabiliste, provoquant, enivré, repu ou bien affamé, tous ont traité avec brio ces morceaux de vie. Ce qui nous frappe,  chez ce couple attablé, c'est ce sentiment de solitude. Ils sont deux mais jamais leurs regards ne se croisent, chacun est dans son monde, l'autre ne compte pas ou s'il compte, c'est pour un seul des personnages qui espère tirer quelques profits ou avantages de l'autre. Deux histoires sans parole se trament. Une frontière est créée par l'espace vide entre les tables : à gauche le gros bourgeois au regard lubrique attend sa note le ventre plein, à droite la « lorette » maigrelette et affamée attend, sans grande conviction, l'offrande d'un dîner (NDLR. On peut également envisager que cette femme jette un regard de mépris sur son voisin) … Le Riche était l’un des grands cafés des Boulevards qui tous étaient également des restaurants. S’y retrouvaient le monde littéraire, des hommes de presse, des peintres, des musiciens, de beaux esprits… Les soirées pouvaient y être coquines, avec de petits salons à l’étage (Source : catalogue vente aux enchères, Beaussant Lefèvre).

 

*  Les Joueurs de cartes ont fait l'objet de plusieurs versions de la part de Cézanne : il en existe cinq connues, conservées au musée d'Orsay, au Courtauld de Londres, au Metropolitan Museum de New York, à la Barnes Foundation de Philadelphie et une dernière acquise par la famille royale du Qatar, dans le cadre d'une transaction privée pour un montant de 228 millions d’euros. Triste record, même si l'œuvre est magnifique qui a été battu depuis. Cette version et celles du Musée d'Orsay et du Courtauld sont les trois seules à mettre en scène le vin et seulement deux personnages. La version du Qatar aurait été achevée avant celle du Musée d'Orsay, dont elle est deux fois et demie plus grande (97 x 130 cm vs. 47,5 x 57 cm).

XXe SIÈCLE

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13. L'une des peintures “parisiennes” d’Edward Hopper, Le Bistro ou Wine Shop, a été peinte en 1909 aux Etats-Unis, “de mémoire”. Nous sommes au bord de la Seine, non loin d'un pont qui pourrait être le Pont-Neuf.

19Ossip Zadkine fait souvent référence à l'univers des cafés, ceux de Montparnasse notamment ; sans doute dans l'univers enfumé de La Rotonde, où il avait ses habitudes et où se mêlaient peintres, musiciens et écrivains. Il y retrouvait Foujita, Soutine, Max Jacob, Henry Miller... Son ami le plus proche est Modigliani avec lequel il partage les mêmes difficultés : "C'était le temps des vaches maigres pour nous deux ; on s'asseyait aux terrasses des bistrots, Modi faisait des portraits de voisins de table qu'on leur donnait  pour essayer d'avoir un franc. A un certain moment, pour pouvoir vivre et aussi travailler, c'était lui, un jour, qui mendiait pour deux, le lendemain c'était moi" (Source : Zadkine, Gouaches des années 20, catalogue, Arles, 1992).

20. Modigliani aimait retenir les traits de ses amis : il a été le portraitiste du Tout Montparnasse. Les terrasses de café étaient l'ordinaire de sa vie quotidienne, le territoire habituel de sa chasse aux modèles et de sa recherche de l'ivresse nécessaire au renouvellement de son inspiration.

21. Zadkine conserve dans ces œuvres son habitude de donner plus d'importance aux personnages en les surdimensionnant par rapport au paysage urbain. Dans Le Joueur de Guitare, si la terrasse au premier plan est animée par le guitariste et les clients attablés, la rue est déserte, grise et bordée de maisons semblables. Les personnages, peu détaillés et dans des coloris plutôt pastel, sont mis en valeur par les tons les plus vifs utilisés dans les décors.

25. Dans cet auto-portrait, Edward Munch est sans force,  solitaire et comme indifférent, résigné. Il est attablé dans un café « claustrophobique » et presque vide que hantent deux serveurs fantomatiques et une vieille femme esquissée à l’arrière-plan. Munch emprunte la voie dans laquelle s’était engagé Van Gogh, celle qui mène à l’expressionnisme.

31. Le regard en pleine guerre d'un peintre déjà dadaïste, anti-bourgeois et provocateur

35. Nom donné en Allemagne par les étudiants aux bourgeois, "gens fermés aux arts, à la culture et à la nouveauté du monde."

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7. "... On peut croire que se rassembler va permettre d'être plus fort. On se met ensemble. Sans doute que c'est cela, un bar : un lieu qui permet que de corps à corps soit tissée la même fonction au même instant, être là, faire recevoir à l'autre sa propre présence pour croire soi-même à la sienne. Ici c'est public, on a le droit de rester.

Donc ils ne sont plus seuls. Mais que se rassembler isole encore plus, et fait surgir de chaque point de la toile, quel qu'il soit, l'épaisseur de la grotte. Ils sont quatre, une ébauche de conversation se fait, une ébauche de rapprochement parce que le bras d'une femme touche presque le bras d'un homme, et que celui qui est là par fonction, le serveur, écoute comme il a dû le faire chaque soir de visages aussi parfaitement indifférents ce qu'on lui raconte..." (François Bon, Dehors est la ville, Edward Hopper, éd. Flohic, 1998).

LES APPARENCES PEUVENT ÊTRE TROMPEUSES

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Cet Homme dans un café de Juan Gris (1912 - Philadelphia Museum of Art), un dandy*, ne boit pas du vin blanc comme nous pourrions l'imaginer au premier abord, mais de l'absinthe ! Elle s'impose non seulement dans les milieux les moins favorisés, mais aussi chez les intellectuels et la bohême d'alors. 

Juan Gris était le seul artiste inclus dans le Salon de la Section d’Or** de 1912 qui utilisait les proportions mathématiques idéales de la Section d’Or pour construire ses compositions, comme on le voit dans le système complexe de grilles et de formes géométriques qui composent cette image.

*   "L’inclusion des lettres 'PIC' et 'AP' à gauche de l’épaule de l’homme peut être comprise comme une référence à Picasso, le cocréateur du cubisme, et à Guillaume Apollinaire, fervent défenseur critique du mouvement" (Source : Philadelphia Museum of Art).

** "Nom donné à un groupe d'artistes qui se forma en 1911 et se rattacha au Cubisme, malgré l'absence dans ses rangs des deux créateurs de ce mouvement : Picasso et Braque. Chronologiquement, la Section d'or correspond à l'expansion de l'esthétique cubiste et représente l'effort de certains artistes d'avant-garde pour systématiser la nouvelle vision qui, chez Braque et Picasso, était intuitive. Le nom de Section d'or illustre bien les préoccupations plastiques du groupe. À la suite de l'abandon de la perspective classique dans la composition cubiste, les artistes de la Section d'or songent à répartir le nouvel espace à deux dimensions du tableau selon la " section d'or " (ou " divine proportion "), qui est le rapport idéal entre deux grandeurs. Leur but est de soumettre à la réflexion l'organisation du tableau, pour procéder méthodiquement à la réduction géométrique de la réalité" (Source : Larousse). 

LE VIN DES ARTS : LA PHOTOGRAPHIE

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Compagnon des Muses, le vin est à la croisée des arts, que ce soit, par exemple, la littérature, la musique, les arts décoratifs ou les arts plastiques. Dans tous les cas, le vin est un témoin irremplaçable de notre histoire sociale et culturelle. Si à ce jour, le MVV Musée Virtuel du Vin est principalement consacré à la peinture, quelques exemples puisés dans d’autres formes artistiques nous permettent également de l’illustrer, de "le voir". Ces quelques photographies traitent du même thème que cette galerie de peinture.

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LE VIN COMPAGNON DE LA VIE QUOTIDIENNE, LES GALERIES

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